BULLETIN 2003

Le Bicentenaire du retour de Hongrie

Ceux d'entre vous qui ont eu la patience de lire dans le bulletin les deux petits articles sur l'Émigration de nos ancêtres communs sont déjà au courant de leur existence entre 1789 et 1802.
Il est intéressant de revenir brièvement sur les causes de cette histoire familiale et de proposer quelques réflexions sur ses conséquences. C'est une opinion reçue que de dater le début de la Révolution au 14 juillet 1789. Beaucoup de bruit pour s'emparer d'une Bastille inoffensive et quasi vide et la transformer en symbole de la tyrannie renversée. Or, vous savez qu'il ne s'est agi que d'une manifestation d'ivrognes, qui cherchaient des armes pour dissuader les douanes de l'octroi de taxer le vin vendu à Paris dans l'enceinte du mur des Fermiers généraux. "Le mur murant Paris rend Paris murmurant."
En réalité les choses sérieuses s'étaient passées trois semaines auparavant, et à Versailles :

Le 20 juin : serment du jeu de Paume.
Le 23 : refus par Mirabeau de la dissolution de l'Assemblée.

Deux désobéissances au Roi de France, monarque absolu, de droit divin.
Du jamais vu et ces 2 forfaitures ne furent pas punies.

Dès lors, la situation est claire : Le Roi ordonne aux Princes de quitter le pays aux fins éventuelles de le remplacer ailleurs.
"Rome n'est plus dans Rome, elle est toute où je suis".
La noblesse de cour suit les Princes. Le mouvement prend toute son ampleur avec les désordres populaires de la fin de l'année. Les notables ne sont pas les seuls à partir, des paysans le font aussi par villages entiers, 100 000 personnes rien qu'en Alsace.
1790 et 1791 sont les années les plus chargées en personnes déplacées. Louis XVI encourage en secret l'émigration, quitte à la désavouer en public. Et c'est la "nuit de Varennes", pour lui une des plus pénibles stations de sa passion expiatoire, voulue, consentie...
Alors tout évolue dans le désordre : "une brillante cohue", dira Chateaubriand. L'armée de Condé à la fin de 1791, celle de Coblence en 1792, Valmy puis la campagne des Pays-Bas. En 1794, ce sont les Anglais qui nous encadrent, nous commandent, nous stipendient avant de nous abandonner en 1795 à Quiberon, comme ils l'avaient faits en 1793 à Granville.

Fin de la pitoyable, de la lamentable épopée.
Pour les exilés c'est maintenant l'ennui, la médiocrité, la quête d'un protecteur, d'un abri, du pain quotidien. Une activité souvent servile, parfois la mendicité.
Par chance, ce ne fut pas le cas de nos ancêtres communs Jacques-Marie Guerry et Constance de La Rochejaquelein, Charles Auguste de Chabot et Michelle de Couessal. Plus que des cousins, plus que des frères et sœurs, ils sont des Vendéens de pure race. L'exil, ils l'ont choisi, non par esprit et aventure, mais pour sauvegarder ce qui pouvait l'être : leurs enfants et avec eux leur sang, leur foi, leurs traditions. Il y a à ce sujet une lettre admirable de la mère d'Alphonse de Lamartine :
"Je me souviens d'avoir vu un jour une branche de saule séparée du tronc par la tempête et flottant le matin sur un débordement de la Saône. Une femelle de rossignol y couvait encore son nid à la dérive dans l'écume du fleuve et le mâle suivait en vol ses amours sur un débris".
Notre petit groupe est un bloc, il s'accroîtra par des naissances et la mort ne l'entamera pas.
On se fixe en terre catholique à la frontière hongroise. Sur ce riche terroir, la fibre vendéenne va vite s'épanouir. Justement, l'évêque de Györ leur prête son domaine agricole de KissBerr, aujourd'hui un haras, dans la belle vallée du Bakonyi.
Voilà l'occasion de tester les recettes agronomiques des Encyclopédistes : charrues à socs métalliques, assolements, engrais chimiques, plantations, hybridations, greffes, élevage intensif mais aussi sélectif.
Tout réussit, rien ne manque si ce n'est la vigne donc le vin. Ah ! Les oies, les canards, les oiseaux d'Adélaïde de Guerry et de Marie-Antoinette de Chabot !
L'éducation des enfants, la récréation des adultes sont facilitées avec la proximité de l'abbaye cistercienne de Zyrcz et sa bibliothèque de 300 000 volumes et aussi de la cathédrale de Györ où vient jouer Josef Haydn maître de chapelle du prince Esterhezy, seigneur des lieux.
Et le temps passe ; sitôt le 18 brumaire, la fameuse "liste des Émigrés" est établie. Au coin de la Place Vendôme, dans cet immeuble que restaure aujourd'hui avec beaucoup de goût et autant de petro dollars, le Sultan de Brunei, le "Bureau de la Commission des Émigrés" ne désemplit pas. On peut y faire radier un parent avec quelques certificats, vrais ou faux, et surtout des écus d'or de 24 livres.
Fouché, ministre de la Police et Grand Juge, décide en dernier ressort. À sa décharge, il faut savoir qu'étant lui-même Nantais, il favorisa souvent ses "pays" en se satisfaisant d'une "promesse de fidélité à la Constitution du Consulat".
C'est d'ailleurs ce qui arriva à nos ancêtres, le 19 floréal an X (4 avril 1802) soit sept mois de gagnés avant l'amnistie générale du Senatus Consulte du 13 fructidor.
Et toute la famille réintégra ses foyers dévastés, les Gâts et le Parc, le jour de la Saint Rémi 1802, quand la Saint Rémi était encore fêtée le 2 octobre.
Voilà donc que nous commémorons un Bicentenaire. Beaucoup de questions se posent. Tout d'abord, qu'auriez-vous fait à la place de nos grands parents en 1789/92 ?
Seriez-vous restés avec Monsieur Henry ?
Ou, auriez-vous pris la route ? Et dans ce cas, pourquoi ?
Par esprit de conservation ? Par vengeance ? Par peur ? Ou par désespoir ?...
Et si vous étiez restés en Vendée, sans combattre, que seriez-vous devenus ? Des patauds, des renégats, des jureurs, des voleurs de biens nationaux ? Eh oui, il y en a eu...
Ou bien des ombres silencieuses, tremblantes dans leur cachette, aussi neutres qu'un chou pancalier.
Et quand vos cousins seraient revenus, comment les auriez-vous reçus ? Comme des traîtres ? Allons donc ; De Gaulle plus tard a affirmé : "Ceux qui partent ne sont pas des traîtres pour autant".
Comme des lâches ? Des déserteurs et du Roi et de la France ? Deux mots alors confondus dans le même concept.
Un concept bien oublié aujourd'hui par ceux qui voudraient identifier la Nation avec la Patrie.
Notre Patrie, que Renan définissait comme le prolongement de la famille sur la terre de nos pères, est incapable aujourd'hui d'intégrer tous ceux qui n'ont apporté de la leur, pas même la poussière de leurs souliers.
Nos ancêtres pendant 10 ans au moins, sinon 13 pour beaucoup, et même 25 pour quelques uns, ont eu le temps de réfléchir. S'ils n'ont rien oublié, ils ont beaucoup appris, et ils sont revenus chez eux avec la volonté d'y vivre en chrétiens et en hommes d'honneur.
On pourrait comparer la fin de l'exode des Hébreux en Egypte avec notre émigration (40 ans contre 10). Le Sinaï contre les Allemagnes.
Dans les deux cas, après la révolte, après le doute, un espoir fou, mais soutenu par la Foi, garanti par la promesse divine dictée par Moïse, dictée par Saint Rémi d'une vie heureuse dans la Patrie : Canaan, terre d'Abraham, terre promise où coulent le lait et le miel. La Patrie, Royaume de France, le plus beau Royaume sous le ciel. À toi Josué, à toi Clovis et à vos descendants, à eux seuls pour toujours... et à jamais.

A-M B.