BULLETIN 2001

PARTIE HISTORIQUE L'AVENTURE AU FEMININ


Destin de Félicie de DURAS Comtesse de LA ROCHEJACQUELEIN (suite)

II - L'AVENTURE MILITAIRE AU SERVICE DE LA REACTION

Auguste et Félicie sont les acteurs de trois aventures, la première et la troisième dans la péninsule ibérique, à dix ans d'intervalle en 1823 et en 1833-1834, la seconde - et la principale pour Félicie - en Vendée en 1832. Leur engagement, motivé par de fortes convictions personnelles, a aussi pour origine leur proximité avec le pouvoir, sous la Restauration, notamment à partir du ministère Villèle en 1821. Félicie est proche de la comtesse du Cayla (1785-1852), "une des égéries du parti ultra" influente depuis 1820 auprès de Louis XVIII, comme le révèle cette lettre qu'elle adresse à l'un de ses neveux en 1852, peu après la mort de son amie, lettre intéressante par le portrait qu'elle dresse de la royaliste parfaite :
"Tu me vois affligée de la mort de Mme du Cayla. Je te demande une communion à l'intention de cette pauvre amie si excellente qui a toujours été si aimable et si parfaite pour Auguste ! Si invariablement royaliste et dévouée au roi à pendre et à dépendre ! Qui a fait pour la cause tant de sacrifices ! Qui était toujours prête et jamais découragée ! [...] Je la regrette bien vivement ; recommande à Dieu, à la sainte Vierge, cette chère amie ! Tout ce qui était vendéen faisait battre son cœur !"
Mais surtout, Félicie est une familière de la duchesse de Berry. Elle l'accompagne à Dieppe. Elle partage avec elle son goût pour la chasse au fusil que toutes deux pratiquent au château de Rosny, où séjourne fréquemment la princesse après la mort de son époux en 1820. Mme de Soigne, volontiers méchante langue, donne quelques détails sur la manière dont s'y déroulait la chasse :
"Ces dames tiraient des lapins, et, pour reconnaître ceux qu'elles avaient tués, elles leur coupaient un morceau d'oreilles avec un petit poignard qu'elles portaient à cet effet et mettaient ce bout dans la poitrine de leurs vestes." A la rentrée au château, on faisait le compte de ces trophées ensanglantés. [...] Madame de La Rochejaquelein portait dans ces occasions un costume presque masculin. Madame la duchesse de Berry, enchantée de ce vêtement, fut arrêtée dans son zèle à l'imiter par la réponse sèche de sa dame d'atour, la comtesse Juste de Noailles, qu'elle chargeait de lui en faire faire un pareil : "Madame fera mieux de s'adresser à un de ces messieurs ; je n'entends rien aux pantalons".
En 1828, du 20 juin au 10 juillet, la duchesse de Berry qui séjourne officiellement en Bretagne et en Vendée, honorant les lieux et les familles marqués par la guerre civile, est reçue par les La Rochejaquelein, à Saint-Aubin-de-Baubigné (Deux-Sèvres) et à Landebaudière (près de Mortagne-sur-Sèvre, en Vendée, beau château de la fin du XVIIIe siècle ayant autrefois appartenu à d'Elbée, dont Auguste et Félicie ont fait l'acquisition quelques années plus tôt, en 1824). Ce voyage, au cours duquel la duchesse de Berry pose la première pierre de la chapelle de Saint-Aubin-de-Baubigné destinée à recueillir les cendres des frères La Rochejaquelein, a probablement contribué à rapprocher encore Félicie de la princesse à laquelle, trois ans plus tard, elle témoignera un si grand dévouement.
Le premier épisode militaire, auquel sont mêlés les La Rochejaquelein, a lieu en avril 1823, lorsqu'Auguste prend part à l'expédition française, comportant 100 000 hommes et dirigée par le duc d'Angoulême, qui intervient en Espagne sur la demande de Ferdinand VII. Auguste dirige une petite brigade d'avant-garde de la division du général Bourke, qui opère dans l'Ouest de l'Espagne, en Galice et en Estrémadure. Parti avec le rêve de jouer un rôle de premier plan dans cette expédition importante car, comme l'écrit Chateaubriand, "la légitimité allait pour la première fois brûler de la poudre sous le drapeau blanc", Auguste rentre déçu. Les combats véritables ont été rares, car les Asturies étaient plus ou moins désertées par les constitutionnels ; les Français, bien accueillis par le clergé et les paysans, ont pu avancer facilement. A ce sentiment de frustration, s'ajoute pour Auguste le regret de n'avoir pas obtenu le grade de lieutenant général, récompense militaire qu'il souhaitait. Si les informations manquent pour cerner le rôle effectif qu'a pu jouer Félicie durant cet épisode, la correspondance presque journalière qu'échange avec elle son époux (7 avril - 6 novembre 1823) témoigne de leur ardeur commune à défendre la cause d'un roi Bourbon bafoué, fut-il aussi faible et maladroit que Ferdinand VII.
A partir de l'été 1830, commence la seconde et principale aventure de la vie de Félicie. La Vendée est, cette fois, le champ d'action.
Dans les mois qui précèdent les Trois Glorieuses, les La Rochejaquelein sont au nombre de ces ultras, proches de Charles X et de la duchesse de Berry, qui n'ont pas la lucidité d'entendre gronder l'orage révolutionnaire. Le duc d'Orléans, dans ses Souvenirs, fustige l'arrogance de ces "champions du Lys", qu'il qualifie de "Coblence au petit pied", réunis à Rosny auprès de la duchesse de Berry, en juin 1830, et au premier rang desquels se trouve Félicie :
"Je ne songe [...] qu'avec colère à la frénésie aveugle de cette petite assemblée d'élus, quintessence de l'ultracisme, qui s'était alors réunie à Rosny. A force de s'entre parler contre-révolution, ils avaient fini [...] par croire que toute la France l'espérait et qu'il ne dépendait plus que d'eux de donner le signal. Aussi étais-je assourdi soir et matin par des romances vendéennes et des élans de sensibilité sur le drapeau blanc que juraient de défendre jusqu'à la mort quelques-uns de ceux qui un mois plus tard ne songeaient qu'à leur passeport et avaient oublié leurs serments et leurs armes. [...] La plus vive était la célèbre Mme de La Rochejaquelein, quelques fois même son zèle monarchique l'emportait si loin qu'on était obligé de l'arrêter. [...] Elle avait alors trente-deux à trente-trois ans et eût été une jolie femme, si sa taille élégante et bien prise n'avait pas été surmontée par une figure toute bourgeonnée et couperosée. C'était le résultat de la vie virile qu'elle menait : toujours à cheval, donnant du corps, buvant comme un Suisse et n'ayant d'autre pensée que de mériter un jour ou l'autre le titre de chef des Chouans."
Quelques mois plus tard, la chute de la branche aînée des Bourbons et l'organisation de la résistance face au nouveau pouvoir donnent à Félicie l'occasion exceptionnelle de déployer l'énergie de "son cœur d'amazone", "aussi intrépide au feu qu'à la poursuite d'un cerf", comme l'écrit Sosthène de La Rochefoucauld. Cette aventure vendéenne est véritablement la sienne car Auguste est absent. En service au château de Saint-Cloud lorsque Charles X signe les ordonnances, il accompagne le roi et sa famille à Cherbourg. C'est lui, dit-on, qui donne le bras à la duchesse d'Angoulême lors de l'embarquement. Après avoir conduit la famille royale à Edimbourg, il ne rentre pas en Vendée, où sa femme, installée à Landebaudière depuis décembre 1830, l'attend pourtant avec impatience. Même s'il ne reste pas inactif, les souvenirs de 1815 ont probablement modéré chez lui l'enthousiasme qui anime sa femme. Son neveu, le fils aîné du marquis, est encore plus réservé et reste à l'écart du mouvement. Auguste serait, dit-on, allé en Algérie pour y sonder l'armée, et aurait été chargé de négocier des emprunts auprès des cours étrangères. Toujours est-il qu'au printemps 1832, lorsqu' éclate l'insurrection vendéenne, il se trouve en Hollande pour préparer un débarquement d'armes, et ne rentre en Vendée qu'en juin, alors que le soulèvement a déjà échoué. De l'étranger, il confie le soin de commander son corps d'armée à d'autres chefs dont les noms sont certes célèbres mais qui manquent d'expérience : le jeune colonel Athanase de Charette, neveu du célèbre général de l'insurrection de 1793, qui lui-même ne débarque en Vendée qu'en juillet 1831, et Jacques de Cathelineau, fils du "saint de l'Anjou" tué lors de l'attaque de Nantes en juillet 1793.
Dans ces conditions, Félicie revendique un rôle de premier plan dans la préparation du soulèvement. Convaincue de la force de la fidélité royaliste dans les campagnes de l'Ouest, fière de renouer avec l'épopée militaire de la Vendée catholique et royale, elle organise elle-même la résistance. Agée de trente-deux ans, ardente, intrépide, infatigable, toujours accompagnée d'une amie, Félicie de Fauveau (1799-1886) -sculpteur romantique, proche d'Ary Scheffer, passionnée pour le Moyen-âge, ayant, exposé au Salon de 1827 des groupes inspirés de Walter Scott - elle "va partout annonçant l'aurore des temps nouveaux", n'hésitant pas à s'associer à des réunions d'hommes. Dès 1831, elle parcourt en amazone toute la rive gauche de la Loire ; elle excite ceux qui hésitent, rassemble des fonds et des munitions, collecte des informations, tandis que Mlle de Fauveau dessine "des modèles d'uniformes pittoresques pour les troupes". Elle envoie des lettres, écrites au citron et en partie chiffrées, à son mari -qu'elle désigne sous le nom de code de "Godefroy", symbole du rôle chevaleresque dont elle rêve pour lui -, au maréchal de Bourmont, ancien chef chouan, qui devient en 1831 chef suprême des insurgés auxquels il apporte son expérience et son prestige de la récente victoire d'Alger, et surtout à la duchesse de Berry.
Très vite, la police, qui s'est rendu compte que Landebaudière est le quartier général des légitimistes vendéens (au nombre desquels figure Aymar de La Tour du Pin, fils de la marquise amie et correspondante de notre héroïne), surveille étroitement Félicie. Le 9 novembre 1831, après une perquisition dans une métairie dépendante de Landebaudière, au cours de laquelle ont été découverts de la poudre, une presse lithographique et 20 000 pierres à fusil, Félicie et sa fidèle amie, cachées dans un four, tombent aux mains de la police. Toutes deux sont astreintes à résidence à Landebaudière, cerné par un bataillon d'infanterie. Déguisée en fille de cuisine, Félicie parvient à s'échapper. Pendant quinze mois, à partir de novembre 1831, elle réussit à se cacher sans jamais être capturée. Rejointe quelque temps plus tard par Mlle de Fauveau qui a été libérée, elle poursuit la lutte et devient le véritable chef politique du bocage vendéen. Toutes deux assurent la coordination des mouvements entre les départements de la Vendée et des Deux-Sèvres, intensifient la propagande, excitent les défaitistes et recrutent toute "une compagnie d'amazones" :
"Chacune de ces dames avait son casque, sa petite cuirasse, ses armes défensives et offensives. La plupart avait choisi un chevalier, lequel portait un bracelet de fer rivé et avait juré de ne le quitter qu'au retour d'Henri V".
Faisant preuve d'une détermination inouïe, Félicie presse la duchesse de Berry de venir en France au plus vite et d'ordonner la prise d'armes : "Voilà, Madame, ce qui est digne de vous, dussiez-vous succomber" lui écrit-elle dans une longue lettre, du 25 octobre 1831, où elle lui demande d'exprimer clairement ses intentions. Lorsque la princesse, débarquée à Marseille le 28 avril 1832, arrive enfin en Vendée le 17 mai, Félicie blâme ouvertement ses hésitations et la prie de se mettre sans tarder à la tête des insurgés. Lorsque le passage à l'action est décidé, dans la nuit du 3 au 4 juin 1832, Félicie, qu'on appelle "la générale", fait de Landebaudière, où est affichée une proclamation signée d'Auguste, le quartier général de l'insurrection et passe, dans les bois, ses troupes en revue. Elle mène les combats pendant les deux jours de l'insurrection. On sait ce qu'il advient de ce soulèvement : il échoue dès le 5 juin en raison du manque de coordination des insurgés et de l'insuffisante mobilisation des paysans vendéens. Mais Félicie refuse de capituler comme le note dans son Journal le comte Rodolphe Apponyi (1782-1852), ambassadeur d'Autriche à Paris, à la date du 12 juin 1832 :
"Mme de La Rochejaquelein et son aide de camp, Mlle Félicie de Fauveau, passent leurs nuits dans les champs, enveloppées dans un manteau militaire ; toujours déguisées en hommes, elles courent d'une ferme à l'autre, prodiguant leur argent sans le moindre résultat, s'exposant, elles et les leurs, au danger d'être pris et assassinés par les paysans ou les gardes nationaux qui, à ce qu'il paraît, sont exaspérés au suprême degré contre les chouans".
Après l'arrestation de la duchesse de Berry, à Nantes, le 8 novembre 1832, Félicie et Auguste, enfin arrivé en Vendée, se cachent. Jugés par contumace (peine de mort pour Auguste, peine de déportation pour Félicie) au début de l'année 1833, ils parviennent à gagner l'étranger. Ils séjournent à Lausanne et à Genève, en Suisse, et à Annecy, en Savoie (qui alors appartient au Piémont), sous le nom de Laremont, jusqu'à leur acquittement en 1835 et 1836 par les cours d'assises de Versailles et d'Orléans.
Cet échec de 1832, que Jean-Clément Martin analyse comme "un tournant capital" pour la Vendée qui "perd définitivement le rôle politique essentiel qu'elle tenait en France depuis 40 ans", incite les La Rochejaquelein, avec d'autres légitimistes vendéens, à poursuivre la lutte à l'étranger en participant à la guerre du Portugal. Là se situe le dernier épisode de la carrière militaire d'Auguste. En 1833-834, il répond, avec le maréchal de Bourmont et un groupe d'anciens officiers et de vendéens proscrits, à l'appel de Dom Miguel du Portugal, conservateur, qui en 1828 s'est fait proclamer roi à la place de sa nièce Marie, libérale. Pour faire face à l'intervention de Pierre IV, l'empereur du Brésil, qui défend sa fille, Dom Miguel appelle à son secours les officiers légitimistes français exilés. La guerre procure à ces derniers une situation, leur permet d'entretenir leurs capacités militaires, et leur donne l'espoir que Dom Miguel, reconnaissant, pourrait aider Charles X. Au cours de cette intervention, pendant laquelle Félicie accompagne son mari jusqu'à Lisbonne, Auguste commande un régiment et est blessé d'une balle au poignet lors de l'assaut de Porto, le 25 juillet 1833. Là encore, c'est un échec : les Anglais soutiennent les libéraux et, en mai 1834, Dom Miguel capitule.
Ici s'achève la carrière militaire d'Auguste. Mais les fermes convictions, la volonté farouche d'agir et la soif d'aventures demeurent chez sa femme. Elles sont même peut-être renforcées par l'expérience de l'échec comme le suggère plus largement Jean-Clément Martin à propos des légitimistes vendéens dans leur ensemble. "Le bilan de ces conflits, écrit-il, est symbolique, donc essentiel". Dans l'aventure portugaise, les vendéens inscrivent les noms des officiers tués (parmi lesquels Louis de La Rochejaquelein, neveu d'Auguste, tué devant Lisbonne le 5 septembre 1833) [...] L'image de 1793 est confirmée devant toute l'Europe quarante ans plus tard : la Vendée incarne une idée, celle de la résistance "aux empiétements libéraux et révolutionnaires". Si la chasse à courre, en Vendée ou sur les bords de la Loire, est désormais l'activité principale d'Auguste, en revanche sa bouillante épouse, dont l'énergie est intacte, poursuit la lutte. Pendant cinquante ans encore, elle continue à servir sans relâche la cause légitimiste, rêvant toujours d'un rôle chevaleresque.